Chaque jour, l’homme propose des visites gratuites au cours desquelles il explique avec passion le procédé artisanal de distillation de plantes telles que le géranium rosat ou le cryptomeria.
Banane vissée autour de la taille, sourire en coin, c’est ainsi que Jean-Yves Bègue accueille les visiteurs pour leur raconter les secrets de fabrication de ses huiles essentielles.
Portrait d’un personnage incontournable des Hauts de l’Ouest de l’île de La Réunion.
La distillation, un savoir-faire que Jean-Yves Bègue a appris dès son plus jeune âge aux côtés de son père, Benoit Luciano Bègue, l’un des premiers distillateurs d’huiles essentielles à avoir partagé son métier aux touristes dans les années 90.
Aîné d’une fratrie de 8 enfants, dès l’âge de 12 ans, déjà vaillant et courageux, Jean-Yves vient en aide à son père souffrant en travaillant dans les champs de géranium.
C’est à 18 ans qu’il commence ses premières distillations au milieu des champs, et depuis, il ne s’est jamais arrêté. Cela fera bientôt 40 ans qu’il perpétue cette tradition familiale avec passion.
Monsieur Bègue se rappelle qu’à cette époque la culture et la production de géranium étaient très importantes pour l’économie de La Réunion. Les plus grands parfumeurs de métropole convoitaient alors l’essence de cette plante cultivée dans les hauts de l’île (à partir de 800 mètres d’altitude) pour confectionner leurs fragrances.
Mais, pour la famille de Jean-Yves Bègue et une partie de la population réunionnaise, le géranium rosat était bien plus que ça ! N’ayant pas accès aux soins médicaux, cette plante aux multiples vertus médicinales s’utilisait comme médicament principal.
Malheureusement, au fil des années l’exportation de cette huile essentielle a considérablement diminué, en raison de la concurrence. De ce fait, l’exploitation du géranium a chuté à La Réunion et Monsieur Bègue craint que cette production disparaisse au fil du temps. Aujourd’hui l’artisan peine à trouver la matière première et ne réalise plus que 4 récoltes dans l’année. Les distillations de géranium du coup se raréfient, à raison de 6 par an en moyenne.
Depuis plusieurs décennies, Jean Yves Bègue perpétue la tradition familiale dans la plus grande simplicité et partage avec passion son savoir-faire ancestral, dans sa case créole rustique située à la Petite-France, au début de la route du Maïdo.
Ce personnage généreux et attachant prend tout le temps nécessaire pour expliquer le fonctionnement de son alambic et chaque étape de la distillation aux touristes et même aux Réunionnais de passage « Les locaux aiment amener leurs enfants et se remémorer le temps lontan (le temps d’avant). Pour eux c’est authentique, c’est vivant », nous dit-il fièrement.
En effet, chez lui, pas de chichi, tout est authentique et dans son jus, planté au milieu d’un décor pittoresque. L’Alambic familial qu’utilisaient déjà ses grands-parents porte d’ailleurs les stigmates du temps. Même après toutes ces années, l’artisan prend plaisir à le mettre en route chaque jour « pour moi c’est un souvenir des parents » nous confie-t-il avec nostalgie.
Assis près de son alambic, il bichonne son feu, veille à ce qu’il « don’ paqué » comme il dit en créole. Il insère des bûches dans le four, donne quelques coups de battons pour raviver les flammes, alors que l’huile s’écoule peu à peu dans l’essencier.
Après 4 heures de distillation, Jean-Yves récupère une huile essentielle de qualité qu’il propose ensuite dans sa petite boutique, aux côtés d’autres produits artisanaux de La Réunion, comme de la fabrication pour rhum arrangé, du sirop et des épices.
Monsieur Bègue nous avoue que ce n’est pas évident de se verser un salaire et de vivre de sa petite production artisanale, mais il ne veut pas que la tradition se perde « on essaye de vivre comme on peut, mais si j’arrête qui va reprendre le flambeau ? ».
Malgré ses maigres revenus, cet homme au grand cœur offre un café en signe de bienvenue à chaque visiteur.
Sa sympathie le fait d’ailleurs connaître grâce au bouche-à-oreille. Sa distillerie, l’Alambic est devenue un arrêt incontournable pour toutes celles et ceux qui empruntent chaque jour la route du Maïdo, afin de profiter du point de vue exceptionnel sur le cirque de Mafate.
Texte et photos : HAPPEI